jeudi 10 novembre 2011

III) La guerre des mondes: une réflexion universelle


1) De l'historicité: regarder la fiction pour comprendre le monde


  Comme nous avons pu comprendre précédemment, le regard porté sur l'invasion extraterrestre permet d'analyser les divers comportements humains: mais en allant plus loin, il est alors possible d'imaginer que La guerre des mondes, dans toute son œuvre, engendre une réflexion universelle. Cette fiction serait alors consciente d'elle-même, de ses conséquences, et son existence aurait alors un intérêt qui dépasserait le domaine fictionnel.
Nous pouvons démontrer cette idée avec le principe d'historicité que nous retrouvons dans cette mythologie: peu importe la période de création, La guerre des mondes a un lien indéniable avec la réalité, engendrant alors un principe d'universalité. Le regard porté sur l'invasion extraterrestre est en fait un regard porté sur le monde réel.
Bien que La guerre des mondes vienne directement de l'imagination de H.G Wells, ce dernier est en réalité un auteur marqué par une époque et un contexte socio-politique particulier: il s'agit de l'âge d'or de l'impérialisme occidental. Le Royaume-Uni possédait de nombreuses colonies tel que l'Inde, et avec la France, la Belgique, le Portugal et l'Allemagne détenait notamment une partie de l'Afrique. Ces colonisations n'avaient pu s'établir que par une puissance militaire supérieure. Wells, sans aller jusqu'à soutenir le marxisme, était un socialiste convaincu qui croyait en une société égalitaire, et qui s'opposait donc par principe à la colonisation. Bien que le lien entre La guerre des mondes et ses idées politiques n'ait pas été avéré, l'idée d'une transposition imaginaire est inévitable.
Ce roman peut-être perçu comme un renversement des rôles: c'est en quelque sorte au tour des Anglais de connaître une invasion étrangère violente, et de constater avec impuissance le vol de leur terre.
Dans son œuvre, H.G Wells, implicitement, expose ce renversement de situation en excusant à plusieurs reprises le comportement des Martiens: « Avant de les juger trop sévèrement, il faut se rappeler quelles entières et barbares destructions furent accomplies par notre race ». Il donne ensuite l'exemple des Tasmaniens, des dodos et des bisons. En quelque sorte, il légitimise l'invasion extraterrestre par le fait que les humains ont commis les mêmes actes. Nous pouvons alors comprendre qu'il y a un certain plaisir à mettre en exergue cette transposition de la réalité historique.
Nous pouvons alors citer un film, sorti en 2009, qui reprend ce procédé: District 9. Au début du film, l'invasion a déjà eu lieu: elle n'était pas violente mais pacifique, les extraterrestres étant affamés et particulièrement faibles à leur arrivée. Leur présence dérangeant rapidement les humains, ils sont placés dans des ghettos en Amérique du Sud.


Cet extrait est l'incipit du film: il est tourné sous forme de reportage, ce qui fait de la fiction une imitation parfaite de la réalité. Il s'agit alors d'une transposition imaginaire explicite: le fait que l'Histoire se situe en Afrique du Sud ne peut que faire référence à l'Apartheid, sachant que les extraterrestres sont séparés des humains. Mais de façon plus générale, le film exprime la peur de l'autre, qui n'est pas ici intra-Terrienne, mais extra-Terrienne. L'invasion est similaire à une immigration de masse, et les extraterrestres sont rapidement discriminés puisqu'ils n'ont pas un comportement humain. La réalité est alors exagérée, et cet effet d'amplification permet de mieux comprendre, ou plutôt de mieux voir, le monde humain.
L'idée d'utiliser la fiction pour commenter la réalité historique est également présente dans La guerre des mondes de Byron Haskin. Nous sommes en 1953, et deux évènements ont changé le monde: la seconde guerre mondiale et la guerre froide.
Tout d'abord, l'invasion extraterrestre est présentée comme une troisième guerre mondiale; dans le deuxième extrait, il est question de la bombe atomique.

 
Dans le premier extrait, nous pouvons voir que des images réelles d'archives sont utilisées: La guerre des mondes s'ancre alors dans la réalité, étant présenté comme une continuité logique de l'Histoire.
Dans le deuxième extrait, nous pouvons voir que la bombe atomique est utilisée par les militaires pour venir à bout des Martiens. La proximité des protagonistes qui ne sont qu'à quelques mètres de cette bombe, et la protection qui se résume à une paire de lunettes montre la méconnaissance de l'époque vis à vis du nucléaire. En cela, ce film est une représentation de l'imaginaire américain de l'époque.
N'oublions pas que nous sommes également en période de guerre froide, et que les ennemis sont les soviétiques. La guerre des mondes de Byron Haskin se situe dans une période ou le cinéma de science -fiction utilise la planète Mars, et donc les Martiens, comme représentation  directe du communisme.
Nous pouvons citer ainsi « Les envahisseurs de la planète rouge », qui est sorti la même année. Dans ce film, les Martiens prennent possession de l'esprit des Terriens, ce qui est alors une représentation de la propagation du communisme.
Il n'y a pas de référenciation directe de la pensée soviétique dans le film de Byron Haskin: mais sa date de sortie et son contexte engendrent un lien qui n'est pas négligeable. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de renversement de situation dans cette œuvre, comme le roman référent, mais il s'agit plutôt d'un film représentatif d'une pensée collective: en cela, il s'inscrit dans l'Histoire, et permet une réflexion rétrospective.
   Il est plus difficile d'ancrer dans la réalité l'adaptation de Steven Spielberg: bien qu'en 2005, l'Amérique soit encore sous le choc des attentats du 11septembre.
Le film y fait d'ailleurs explicitement référence: effectivement, Rachel, la jeune fille, lors du début de l'attaque, dit à son père « C'est les terroristes? ». Lorsqu'on sait l'importance de la perception de l'enfant chez Steven Spielberg, cette réplique est d'autant plus importante. Ce film serait alors la représentation visuelle d'une angoisse collective américaine, celle d'une attaque venant de nulle part, brève, et extrêmement brutale.
Il est également possible d'y voir d'autres frayeurs universelles, même si la surinterprétation n'est jamais loin. Regardons alors ces deux extraits.

 
Dans le premier extrait, nous pouvons voir un train en flamme, qui passe devant la foule. La barrière se ferme naturellement, la foule attend patiemment: mais le passage du train, lancé à grande vitesse, est inattendu. Les flammes mettent en relief l'idée d'une mort brutale et collective: cette idée s'oppose au comportement de la foule après le passage du train, qui reprend, en silence, une marche monotone. La passivité des gens contraste alors avec l'horreur de la situation. Il est possible d'y voir une référence à l'Holocauste et plus particulièrement aux"trains de la mort", sachant qu'il s'agit d'une thématique importante dans la filmographie de Steven Spielberg (par exemple La liste de Schindler).
Dans le deuxième extrait, nous pouvons apercevoir des vêtements qui tombent, lentement, du ciel. Les tons de gris et les arbres nus, qui rappellent la période hivernale, s'accordent avec l'imaginaire collectif que nous pouvons avoir des camps de concentration.
C'est une période douloureuse de l'Histoire qui est mise à certains moments en exergue au sein de ce film: tout comme La guerre des mondes, l'Holocauste représente la mort à grande échelle. Il est alors question de regarder la fiction pour réapercevoir différemment une réalité commune.
  La fiction est donc consciente de son impact sur le monde, et de son essence qui transpose la réalité, par le biais d'une mythologie extraterrestre. C'est alors par la vision indirecte que la réflexion, au sein de la fiction romanesque, est engendrée. Mais nous pouvons alors nous interroger sur le moyen de provoquer cette même réflexion.