mercredi 9 novembre 2011

2) L'observation de la nature humaine par le biais de l'invasion


  L'invasion n'est pas anodine: elle permet de mieux apercevoir l'humanité. Mais il est également possible de considérer que l'extraterrestre est en quelque sorte un reflet de l'homme. Il faut donc regarder l'autre pour se comprendre soi-même.
H.G Wells situe les Martiens sur la même échelle d'évolution que les hommes, comme le démontre cette citation: « Les humains sont au début de l'évolution au terme de laquelle les Martiens sont parvenus ». Les extraterrestres seraient alors des hommes, mais plus évolués, en quelque sorte une représentation prophétique de la communauté humaine. De plus, dans ce roman, l'amalgame entre ces deux races est présent. Nous pouvons prendre comme exemple le premier titre de journal qui raconte l'invasion, lorsqu'elle semble encore inoffensive: « Les hommes morts tombés de Mars ». Il semble alors difficile de concevoir l'existence d'une autre espèce, et en cela les Martiens ne semblent être représentés qu'à travers une échelle humaine. Ils ne sont alors pas des « autres », mais plutôt des copies.
Si l'extraterrestre est un reflet de l'homme, il est alors important pour l'humanité de se regarder, pour se connaître. Pour Steven Spielberg, cela ne fait aucun doute, comme le montre cet extrait.




Tout d'abord, le protagoniste est à la recherche d'un élément pour se cacher: il trouve le miroir, qui, le plan suivant, sert alors de bouclier face à l'ennemi. Ce même miroir semble alors être la solution, voir la clef pour comprendre le monde et se comprendre soi-même. Ensuite, le reflet de « l'œil », qui est en réalité un organe du tripode, se regarde dans le miroir: il n'y voit que lui-même, et son reflet l'intrigue, ce qui démontre un certain narcissisme pourtant nécessaire. Il faut en quelque sorte se regarder pour pourvoir regarder. Le plan suivant est coupé en deux, le miroir en guise de séparation. Les hommes, le regard apeuré, d'un côté: l'œil, de l'autre. Cela démontre l'idée d'une peur du face à face, les deux espèces ne peuvent que se regarder indirectement. Lorsque l'œil regarde de l'autre côté du miroir, il ne voit rien. 
D'ailleurs, dans l'ensemble des œuvres de La guerre des mondes, il n'y a jamais de longue rencontre frontale, ou alors uniquement par le biais de machines de guerre: le face à face est toujours fuyant, ce qui démontre la peur de se regarder soi-même.
Le regard est alors indirect, l'homme ne regarde pas l'extraterrestre, mais l'invasion: en quelque sorte, il aperçoit le reflet de son reflet.
Cette vision subjective conduit tout de même l'homme à s'observer indirectement par le biais des conséquences de l'invasion. Ainsi, nous pouvons parler du huis-clos, thématique récurrente et présente dans les trois œuvres: il permet à l'homme, isolé et enfermé, de dévoiler sa vraie nature, et donc de s'apercevoir réellement.
Cet enfermement involontaire est similaire dans les trois cas: il a lieu lors d'une situation critique, où les protagonistes sont en danger. Ils doivent alors rester cachés malgré eux dans une cave, à quelques mètres d'extraterrestres qui ont élus domicile, et ne pas faire de bruit. Mais ce qui est intéressant lors de cet enfermement, c'est qu'il oblige l'homme à se scruter. Il ne s'observe pas directement en regardant son reflet, c'est à dire l'extraterrestre, mais indirectement parce que l'invasion l'y contraint.
Dans la version de 1953, le protagoniste est enfermé avec son amie, sous les décombres d'une maison complètement détruite. Lors de ce tête à tête, Clayton Forrester se comporte tel que l'impose son statut de héros: il défend sa compagne et sa propre vie. En cela, ce huis clos permet de mettre en exergue ce qu'il y a de meilleur chez l'homme: c'est à dire le courage.
Dans les deux autres œuvres, c'est la notion inverse: le huis clos expose les côtés les plus sombres de l'humain.
Les deux protagonistes commettent un crime: l'autre personnage de cette cohabitation forcée, dans les deux cas, met leur vie en danger, ils ne semblent alors pas avoir le choix.
Dans le roman, il s'agit du vicaire, un homme que rencontre le narrateur et avec qui il décide de se cacher. Il est décrit à plusieurs reprises comme un idiot qui délire: « son visage dénotait une honorable simplicité cérébrale », ou encore ses yeux sont décrits « sans regard ». Il décide de le tuer avec un couperet, sans préméditation. L'action est brève: « Par un dernier sentiment humain, je retournai le tranchant et le frappait avec le dos ». En tuant, il perd donc son humanité.
La scène dans la version de 2005 est très similaire: Graham Ogilvy accueille Ray et sa fille dans sa maison en ruine. Bien qu'accueillant au départ, il délire rapidement, et sa mort, pour protéger les protagonistes, devient évidente.



Comme nous pouvons le voir dans cet extrait, Ray demande d'abord à sa fille de chanter une chanson, ce qui permet, comme nous l'avons vu précédemment, de la préserver de ce qui va se passer. Cette même chanson est le fond sonore du meurtre, avant qu'une musique très grave, et donc particulièrement stressante, vienne s'y ajouter. Cette dualité entre une musique enfantine et une musique effrayante permet de montrer le combat intérieur du protagoniste: son humanité, représentée par la chanson de sa fille, et son crime, par l'autre musique. C'est d'ailleurs cette dernière qui l'emporte, ce qui montre que le héros, comme dans le roman, perd son humanité. Notons également que le meurtre lui-même n'est pas mis en scène, et que la porte est littéralement fermée pour le spectateur qui n'y a donc pas accès. C'est en quelque sorte une façon de ne pas mettre l'accent sur ce crime, qui est nécessaire pour la survie, et de pouvoir passer rapidement à une autre scène. En quelque sorte, c'est comme si rien ne s'était passé. Cet accès de violence devient alors secret, comme si découvrir les facettes les plus sombres de l’homme n’était pas une bonne idée.
  Ces huis clos mettent en exergue l'idée que l'invasion extraterrestre et ses conséquences révèlent la nature humaine: héroïque ou terrible, l'homme se dévoile et il peut donc s'observer tel qu'il est.