dimanche 20 novembre 2011

2) Voir l'impensable: le rôle du héros

 
  Dans la majorité des œuvres, les protagonistes influent sur le récit ou sur le scénario, et permettent l'élaboration de la fiction: cette généralité concerne les personnages principaux de La guerre des mondes, qui sont alors amenés à voir l'impensable.
Comme nous avons pu comprendre précédemment, le protagoniste de l'œuvre référente d'H.G Wells est homodiégétique: la dualité de son statut, qui comporte à la fois le rôle de narrateur et celui de personnage principal, contribue à l'élaboration d'un récit qui s'essaye à la précision. De plus, il raconte les évènements rétrospectivement: nous pouvons alors évoquer un certain devoir de témoignage.
Nous ne connaissons pas le nom du narrateur: la personnalité du protagoniste ne semble pas primordiale, le récit en lui-même étant prépondérant. D'ailleurs, alors qu'il traverse la banlieue de Londres pour retrouver sa femme, elle n'est évoquée que très rarement. Cette recherche semble alors être un motif d'errance. Son rôle est avant tout, en sa qualité de témoin d'évènements extraordinaires, de raconter et d'immortaliser cette invasion extraterrestre.
Ainsi, l'observation prime: d'ailleurs, le roman commence avec le narrateur qui observe les jaillissements de gaz sur Mars avec l'astronome Ogilvy, il est donc un témoin prioritaire. De plus, nous pouvons évoquer la thématique de la cachette: lors d'évènements primordiaux, le narrateur se voit dans l'obligation de se cacher pour observer, peu importe la dangerosité de la situation. Ainsi, nous pouvons parler du moment où le cylindre se dévisse: « parmi quelques jeunes sapins et des buissons de genêts, je m'arrêtai haletant, anxieux de ce qui allait se produire », ou encore « Je demeurai là, enfoncé jusqu'aux genoux dans la bruyère, les yeux fixés sur le monticule qui les cachait. En moi la crainte et la curiosité se livraient bataille ». Nous pouvons noter une certaine ambivalence du terme « demeurai »: le verbe « demeurer » réfère à une position statique, propice à l'observation; le passé simple est quant à lui plus propre à l'action. Cela démontre que le narrateur est figé au cœur d'un récit mouvementé, son rôle de témoin est donc primordial. Nous pouvons également évoquer le fait que lorsque le météore tombe, le narrateur est en train d'écrire: il est en quelque sorte prédestiné à concevoir ce témoignage
  Dans les adaptations cinématographiques, il n'est plus question d'être uniquement un témoin des évènements, mais plutôt d'agir directement sur le récit.
Dans la version de 1953, le protagoniste Clayton Forrester est un docteur en science: son savoir est donc constamment mis en exergue. Il explique les évènements, scientifiquement, à la fois aux personnages du film, mais également au spectateur. Par le biais de ces deux extraits, nous pouvons comprendre la supériorité savante du protagoniste.



Dans la première scène, il s'agit des premiers effets de l'invasion extraterrestre, ici de la chute du météore. Le téléphone ne marche plus, et c'est le protagoniste qui soulève l'étrangeté de la situation par sa réplique. Ensuite, un des personnages présents s'aperçoit que les montres ne fonctionnent plus: par le biais d'un travelling arrière, la caméra passe d'un plan individuel à un plan de groupe, ce qui met en exergue l'interrogation collective due à ce phénomène. Mais le protagoniste, qui est placé au centre de la foule, ce qui montre son importance, apporte la réponse à la collectivité: c'est un champ magnétique.
Dans le deuxième extrait, le héros est interviewé: cette même interview passe en voix off, ce qui contribue à une impression de narration scientifique. De plus, les nombreux plans sur les différentes radios montre une certaine universalité de la parole du protagoniste qui est largement écoutée: les différents groupes de personne, qui sont pour la plupart attentifs à son discours, démontrent également un certain besoin de réponse que lui seul peut apporter.
Dans ce film, le protagoniste est en quelque sorte un témoin savant: il commente régulièrement les évènements et apportent des réponses aux personnages et aux spectateurs. Il n'agit pas sur l'action, c'est à dire sur l'invasion extraterrestre qui est indépendante de lui, mais plutôt sur la communauté humaine. Il est alors un observateur éclairé, puisqu'il regarde ces évènements par le biais de sa culture scientifique.
  L'adaptation cinématographique de Steven Spielberg met en scène un père de famille dépassé par les évènements. Au début du film, il ne communique pas avec ses enfants, et leur garde chamboule sa vie quotidienne, ce qui est d'ailleurs annonciateur de l'autre bouleversement de sa vie: l'invasion extraterrestre.
Ray est un témoin involontaire et impuissant des évènements: il les fuit, ce qui diffère du narrateur d'H.G Wells qui malgré son exode souhaite constamment« regarder », et il ne les commente pas, contrairement au scientifique de la version de Byron Haskin.
Pourtant, il n'est pas complètement passif: son rôle est intrafamilial. Il doit s'occuper de ses enfants, et plus particulièrement de sa fille Rachel.
Steven Spielberg, au sein de sa cinématographie, accorde beaucoup d'importance au regard de l'enfant. Nous pouvons prendre comme exemple E.T, A.I : intelligence artificielle ou Jurassic Park: la perception enfantine des évènements et souvent pure, tout le temps innocente. Ainsi, le regard de Rachel contraste forcément avec l'apocalypse, et le rôle du père est de protéger la perception innocente de sa fille. 
Il ne regarde pas l'apocalypse car il doit empêcher sa fille de le faire.


Dans le premier extrait, qui est au début du film, Ray souhaite que sa fille regarde l'orage. Les deux personnages sont d'abord dans l'ombre, ce qui annonce un danger imminent. L'irresponsabilité du père est alors mise en exergue, puisque c'est Rachel, qui d’elle-même, ne souhaite plus regarder.
Dans le deuxième extrait, les protagonistes doivent sortir de la maison en ruine où ils étaient cachés. Ray force sa fille à le regarder lui, et non les alentours, pour éviter qu'elle soit effrayée par ce qu'elle voit. C'est donc par le biais du regard paternel qu'elle n'a pas accès au monde extérieur, c'est à dire à l'horreur.
Dans le troisième extrait, que nous avons déjà étudié, l'accent est mis sur le regard pur de l'enfant: le cadre bucolique représente sa perception du monde, les cadavres la réalité. La main du père, à la fin de la séquence, met fin à cette contradiction: il vaut alors mieux apercevoir le néant que l'invasion.
Dans le quatrième extrait, Ray se voit dans l'obligation de tuer l'homme qui cohabite avec lui et sa fille, car il les met en danger. Il bande alors les yeux de Rachel, et lui demande de se boucher les oreilles. En plus de la dimension visuelle, elle n'a plus accès à la dimension sonore. La chanson qu'il lui demande de chanter la conforte dans son univers enfantin et la préserve du monde extérieur. Il n'est alors pas encore temps, pour elle, de grandir, donc de voir la réalité.
Nous pouvons alors dire que le rôle de Ray est avant tout de conserver l'innocence de sa fille. Cela rappelle alors le film de Roberto Benigni, La vie est belle, qui met en scène un père et son fils, dans un camp de concentration. Le rôle du protagoniste est alors de persuader son enfant qu'il s'agit d'un jeu, et de lui interdire l'accès à l'horreur, pour préserver également son innocence.
  En ce qui concerne le film de Spielberg, nous pouvons également parler de son fils, qui souhaite rejoindre l'armée pour combattre. Alors qu'il s'oppose à cette décision, il est dans l'obligation de le laisser partir, car la priorité est de protéger sa fille, et non pas son fils, qui n'appartient plus au domaine de l'enfance. Il doit alors le laisser regarder l'apocalypse. Nous pouvons donc dire que c'est par le biais de l'invasion extraterrestre que le protagoniste gagne son statut de père.
  Les héros de La guerre des mondes ont tous un rôle particulier à jouer au sein de la fiction, et ces regards individuels sur l'invasion permettent d'observer ce qui se rapproche de l'apocalypse, à une échelle humaine, donc plus réelle. Mais n'oublions pas que la perception de l'invasion par la communauté humaine est également primordiale.