mardi 22 novembre 2011

II) L'enjeu de l'invasion extraterrestre: regarder l'apocalypse


1) Montrer l'impensable: les choix narratifs et scénaristiques


  L'invasion extraterrestre appartient au domaine de l'imaginaire: il n'y a pas de point d'ancrage ou de référenciation dans la réalité. De plus, l'invasion dans La guerre des mondes est particulièrement brutale et dévastatrice, l'horreur à grande échelle étant un des éléments primordial. De ce fait, comment montrer l'impensable?
  Dans l'œuvre de H.G Wells, la narration est à la première personne: de plus, le narrateur est le protagoniste, il est donc homodiégétique. Cette double fonction du héros permet d'avoir une représentation complète de l'invasion extraterrestre: à la fois précise par la position de narrateur, et terrifiante par les évènements que le protagoniste vit. Mais ce qui est réellement intéressant dans La guerre des mondes de H.G Wells, c'est le regard rétrospectif du narrateur. Il narre des évènements passés, comme le démontre une phrase de l'incipit: « il est curieux de se rappeler maintenant les habitudes mentales de ces jours lointains ». Il y a donc une prise de recul sur le récit, ce qui engendre l'idée d'un témoignage contrôlé: le narrateur est conscient de sa position et choisit distinctement ce qu'il souhaite dire au lecteur. Notamment, lorsqu'il évoque implicitement le fait que les extraterrestres s'injectent du sang,  il déclare« je le mentionnerai le moment voulu ».
Il est donc maître de son récit, et le fait qu'il y soit postérieur permet une vision panoramique des évènements: effectivement, il narre également les aventures de son frère à Londres, ou encore les faits dans le Surrey, alors qu'il n'y était pas. Nous comprenons que ces faits lui ont été divulgués a posteriori. Le narrateur est donc conscient d'évènements que le personnage ne maîtrise pas dans le temps du récit, en cela son savoir est supérieur. La focalisation est alors à la fois interne, par le biais du héros, et omnisciente, par le statut de narrateur postérieur aux évènements. Ce choix narratif permet l'instauration d'un récit complet: le lecteur suit à la fois les aventures du protagoniste, c'est à dire l'invasion à une échelle individuelle, mais également les évènements à une échelle plus générale, ce qui permet au lecteur d'avoir un condensé d'information sur l'invasion extraterrestre.
  Dans les deux adaptations cinématographiques, les procédés diffèrent: en premier lieu, la focalisation est majoritairement externe, nous suivons alors les évènements sans avoir directement accès à l'intériorité des personnages. Ensuite, les deux protagonistes, qui sont respectivement Clayton Forrester dans la version de 1953, et Ray Ferrier dans celle de 2005, sont omniprésents à l'écran. Nous pouvons alors évoquer une focalisation majoritaire sur les héros: cela permet d'apercevoir l'invasion extraterrestre à travers une échelle individuelle. La perception est plus intime, donc plus prenante: également, l'histoire personnelle des protagonistes peut-être développée, afin que le spectateur puisse s'attacher aux personnages, et pénétrer plus facilement dans le domaine de la fiction. 
Pourtant, lors de certaines scènes, des évènements se déroulent hors du champ d'action des protagonistes. Le fait de montrer un passage extérieur aux héros à une utilité pour montrer l'invasion. Effectivement, cela permet de multiplier les regards sur l'apocalypse.
Notamment, dans la version de 1953, le protagoniste n'est pas présent lors de la chute du météore, comme le montre ces images. 



Cela permet alors de se focaliser sur une foule ordinaire, à un moment de la vie quotidienne: l'arrivée du météore trouble cet ordre établi, et annonce un bouleversement futur. De plus, l'absence du protagoniste permet de retarder et donc de soigner son arrivée, en cela il se distingue de la communauté que nous voyons sur cet extrait. Il y a alors un véritable intérêt à montrer cette foule, puisque l'invasion concerne, en plus des protagonistes, l'humanité. Cela permet une vision plus générale, et de montrer l'invasion à travers les yeux de la collectivité.
   
Dans la version de Steven Spielberg, la focalisation sur Ray est quasiment constante, le réalisateur faisant le choix de montrer les évènements à travers une échelle individuelle, ou intrafamiliale, puisque ses enfants sont omniprésents.Pourtant, un passage dans le film est uniquement focalisé sur sa fille, Rachel, comme le montre ces images.

   
Celle-ci s'éloigne quelques instants: la nature est omniprésente, l'eau symbole de vie, scintille. Il y a alors une focalisation interne, la caméra essaye de reproduire le regard enfantin de la fillette. Cette pureté liée à l'enfance contraste bien évidemment avec les cadavres  qu'elle aperçoit: notons également que la main de son père sur ses yeux met fin à cette focalisation interne. Ce passage est utile pour le récit, car regarder l'apocalypse à travers les yeux d'un enfant permet alors d'insister sur l'horreur de la situation.
Nous pouvons alors comprendre que les procédés pour montrer l'invasion extraterrestre diffèrent selon les supports, les auteurs et les réalisateurs. Il y a un véritable intérêt à montrer de plusieurs manières cette même invasion. Mais ce qui ressort principalement de cette analyse est l'idée que les protagonistes ont un véritable rôle dans la perception de l'apocalypse.