jeudi 24 novembre 2011

2) Adaptations cinématographiques: l'intérêt des images


   

  

Comme ce qui a été vu précédemment, l'annonce d'Orson Welles sur CBS, en 1938, a provoqué une vague de panique. Cela démontre essentiellement un rapport prédominant de l'homme au son: effectivement, dans les années 30, la radio connaît un essor considérable. Seul moyen technologique qui pouvait permettre d'accéder directement au monde, comme l'est à l'heure actuelle internet, la radio conduit l'homme à accorder une grande importance à la dimension sonore. Ceci explique notamment la panique engendrée par l'annonce d'Orson Wells, la société accordant une confiance sans borne au son.
 
  La dimension visuelle, quant à elle, entretient avec l'homme une relation différente. Elle est définie pour la première fois par Platon: « J'appelle image d'abord les ombres ensuite les reflets qu'on voit dans les eaux, ou à la surface des corps opaques, polis et brillants et toutes les représentations de ce genre ». Avec les termes « ombre » et «reflet » nous pouvons comprendre que l'image est avant tout une représentation floutée du monde réelle. Notons également qu'un peu plus tard, à l'époque du Moyen-âge, elle est associée au fantasme, donc à l'illusion. L'image engendre alors un regard indirect sur la réalité.
Au XXème siècle, cette conception de la dimension visuelle change: l'essor du cinéma (et l'apport progressif du son et de la couleur), la multiplication des publicités et l'instauration progressive des télévisions dans les foyers accordent un rapport plus puissant à l'image, qui devient alors une représentation directe et primordiale du monde réel. La fiction se doit alors d'être visualisée, afin de la rapprocher de la réalité.Une adaptation visuelle de La guerre des mondes au XXème siècle devient donc évidente.
Selon Philippe Marion, une œuvre est médiagénique lorsqu'elle contient des possibilités d'exploitation sur un autre support médiatique. Nous pouvons alors parler de médiagénie pour l'œuvre référente de La guerre des mondes, celle de H.G Wells, par sa contenance propre à la visualisation. N'oublions pas que ce roman appartient au genre de la science-fiction: est alors mis en scène un monde où se déroule des faits impossibles, ou non avérés, en l'état actuel de la civilisation, c'est à dire dans ce cas précis une invasion extraterrestre venant de la planète Mars. Le domaine de l'imaginaire, ou du surnaturel, a besoin d'une visualisation, car il n'y a pas de référenciation dans le monde réel.
   Prenons un exemple concret: la première description du Martien dans La guerre des mondes de H.G Wells. Dans le chapitre « le cylindre se dévisse », le narrateur aperçoit pour la première fois, dans la lande où le météore est tombé, un extraterrestre. La description commence alors par: « Ceux qui n'ont jamais vu de Martiens vivants peuvent difficilement s'imaginer l'horreur... ». Cela démontre l'idée que le lecteur est dans l'incapacité de s'imaginer ou plutôt de visualiser un élément qu'il ne connaît pas. Le rôle de la description est alors primordial: elle est ici longue, frénétique, et elle se démarque par une absence de verbes («le manque de front, l'absence de menton..., le remuement incessant de cette bouche... »). Le narrateur livre alors de nombreux détails au lecteur pour qu'il puisse visualiser l'extraterrestre, et par conséquent engendrer le sentiment voulu: la terreur.
   Au cinéma, la première apparition de l'extraterrestre n'utilise pas les mêmes procédés.



Dans la version de Byron Haskin, et comme nous pouvons le voir sur cet extrait de La guerre des mondes, le Martien apparaît furtivement, dans la profondeur du champ, caché en partie par la maison en ruine. L'extraterrestre n'est pas vu en détail, mais sa physionomie reste compréhensible pour le spectateur. Il y a donc une certaine ambivalence de l'image: l'apparition est floue, rapide, mais c'est cette brutalité indescriptible qui provoque la frayeur.
Dans la version de Steven Spielberg, nous retrouvons les mêmes éléments. 


D'abord, malgré leur arrivée brutale, les extraterrestres ne se dévoilent ni devant le spectateur, ni devant les protagonistes: le ton est donné dès le début, la lumière est éteinte. Un léger travelling met en exergue le contournement qu'ils font des personnages, en arrière-plan, et ils sont constamment floutés par le décor. Le moment de la révélation est retardée, car le spectateur n'a pu qu'apercevoir les tripodes, il s'agit donc d'un moment primordial. L'apparition est alors rapide, tout comme dans la version de 1953: en revanche, l'extraterrestre apparaît en premier plan, il est alors plus visible. Mais ce qui provoque avant tout la terreur dans cet extrait, c'est la brutalité de cette même apparition.
   Dans le roman de H.G Wells, la frayeur ne peut se faire que par le biais d'une description longue et minutieuse, alors qu'au cinéma, l'effet est inversé: l'image se suffit à elle-même pour effrayer le spectateur, qui visualise alors rapidement l'extraterrestre. La brièveté est synonyme de terreur. Cette comparaison entre l'œuvre référente et ses adaptations cinématographiques démontre que l'image, bien qu'elle ne surpasse pas les mots, devient prépondérante: les procédés utilisés sont différents, et la terreur est engendrée plus rapidement, ce qui a un intérêt tout particulier pour cette œuvre. La visualisation efficace de ce mythe terrifiant devient primordiale: c'est en cela que La guerre des mondes s'ancre dans l'imaginaire collectif. Effectivement, les images font partie intégrante de ce mythe. De nombreuses œuvres n'hésitent alors pas à le transposer visuellement.